• « Supposer, comme nous supposons tous, qu’on peut être riche sans se comporter tel un riche, est comme supposer que nous pouvons boire toute la journée et rester absolument sobre. », écrit Logan Pearsall Smith dans Afterthougts. Et plus loin : « Le malheur, quand on est riche, c’est qu’il faut vivre avec les gens riches. »  Toutefois, comme Gabriel Matzneff dans L’Archange aux pieds fourchus, on peut y échapper car la liberté n'a pas de prix, elle est essentielle à sa survie : "Je me suis installé dans ce personnage de clochard de luxe qui est le seul qui me permette de ne pas déchoir." Il s’explique : "Je suis inapte aux responsabilités, inapte à la vie sociale, inapte aux autres."

    Selon l’auteur, le dandysme c’est avant tout une question de détermination et d'ascétisme : c’est « le désir d’être en toutes circonstances sublime, c’est-à-dire supérieur aussi bien à la tentation du désespoir qu’à celle du conformisme social. » Forcément, tout le comportement du dandy est une protestation contre la société, mais aussi contre la raison. « Il ne sert à rien de se rebeller contre le sort. On y perd son temps, son équilibre nerveux, sa dignité. »

    Ainsi, l’abstention serait un snobisme aussi, car, toujours selon l’auteur, « être un dandy, c’est aimer les belles choses, mais la fleur suprême du dandysme est de pouvoir s’en passer. »

    Matzneff fait même l’éloge de la vertu purificatrice du cambriolage qui nous allège !  Il faut ici constater que les pauvres sont plus souvent volés que les riches, non seulement parce qu’ils sont, statistiquement, nettement plus nombreux, mais sans doute aussi parce qu’ils sont moins bien protégés, qu'ils n'ont pas de coffres forts et qu'ils sont donc obligés de confier leurs épargnes à une banque du cru. Ils n’ont pas les moyens de se payer un aller-retour et éventuellement un petit séjour (avec spa) dans un hôtel cinq étoiles à Zurich, à Vaduz ou au Luxembourg, ou d’avoir un système d’alarme dernier cri. Cependant, nous précisons qu’ils ne sont pas pauvres parce qu’on les dérobe constamment de leurs biens! Au contraire : généralement, la pauvreté fait frémir les voleurs autant que les préservatifs font frissonner le pape. Faites-vous une réputation d’homme ruiné ou de femme appauvrie, et vous seriez entièrement tranquilles. Profitez de la crise financière! Comme anti-vol efficace (et économique) vous ne trouvez pas mieux sur le marché. 


  • Il n’est pas honteux d’être pauvre, mais c’est bien gênant quand même. Malheur à nous, pauvres snobs dont le train de vie est si frivole et vulnérable. Comment survit-il, soudainement raide comme un passe-lacet, pauvre comme Job? Certes, le snob, voire tout être humain, peut faire appel à des astuces « psychologiques » afin de combattre la crise et la paupérisation, avec élégance et distinction. L’essentiel est qu’il ne perde pas sa dignité, son maintien, sa contenance : même lorsqu’il est contraint de s’installer chez les barbares, il respecte strictement les règles de l’étiquette en vigueur. Mais il peut aussi, par exemple, pour confirmer sa supériorité ou sa position d’homme ou femme du monde, s’en moquer pleinement. Certes, ces facettes antithétiques du snobisme valent ce qu’elles valent, cependant elles ont le grand avantage d’être des actes gracieux, voire gratuits, et démocratiques : l’étiquette ne s’adresse-t-elle pas aussi bien au roi d’Espagne qu’à ses aides ménagères ? Quant à la nonchalance, a-t-on vraiment besoin de noter, qu’elle n’est pas une affaire de  classes non plus ?

    Prenez l'exemple de Diogène, un des premiers snobs de l’impécuniosité qui était vêtu d'un manteau démodé, qui allait pieds nus, qui dormait dans une jarre et ne possédait rien d'autre que les aumônes de ses auditeurs et contributions de ses mécènes. Il a réussi à faire plus parler de lui, de ses haillons et de son tonneau pendant 24 siècles que d’autres avec leurs manteaux en zibeline et leurs palais et châteaux…. 


  • La nouvelle tendance très snob en matière d’ameublement en Angleterre et dans le nord de l’Europe consiste à mélanger plusieurs styles et plusieurs périodes. Par exemple, on mélange des chaises victoriennes à une table Regency ou un modèle « vintage » de Knoll. On l’appelle parfois « tradition with a twist » mais ce style d’intérieur n’est pas uniquement un snobisme de la patine un peu frivole et deranged, mais également un dérivé du snobisme généalogique voire conservateur, car il démontre que, depuis des générations, votre famille a su garder les meilleurs meubles de chaque époque. N’oubliez pas : la pingrerie peut être un snobisme chez les gens fortunés ! Forcément, ce recyclage plait beaucoup aux éco-snobs. En temps de crise, il est une véritable bénédiction ! Allez ! En route ! Tous chez Emmaüs ! 


  • Avez-vous également reçu cette invitation pour participer à un concours de la part du magazine Challenges, parrainé apparemment par Le Nouvel Observateur, qui vous incite à révéler « le trader qui est en vous », grâce à un compte de trading « virtuel » de 20 000 euros, afin de gagner une Rolex Cosmograph Daytona© d’une valeur de 27 700 euros ?

    Franchement, ces magazines nous prennent pour une bande de vulgaires cambistes bling-bling ou quoi ?? Ont-ils oublié, à qui nous devons cette crise ? Et c’est nous, pauvres snobs, qu’on reproche d’être politiquement incorrects et de mauvais goût, comme les touristes qui visitent des pays aux économies chancelantes, des pays qui se relèvent d’une révolte, d’une guerre ou d’un désastre écologique, alors que, à l’instar des snobs, eux aussi participent à la reconstruction de l’économie?!

    20.000 euros « virtuels » ? Pouah ! Je préfère encore jouer au Monopoly avec mes neveux et mes nièces et des billets palpables ! Eux, au moins, ne se prennent pas au sérieux! 


  • C’est un fait incontournable : les abeilles occupent une place très importante dans notre bestiaire snob. Elles ont une reine, elles nous procurent de la gelée royale et, de surcroît, à l’instar des lions, aigles, cygnes et dragons, elles figurent dans un grand nombre de blasons.  En héraldique d’empire, les princes (non souverains) portaient un chef (pièce honorable qui est en haut de l’écu) d’azur agrémenté d’abeilles dorées. Napoléon en fit broder sur son manteau. De nos jours, au grand plaisir des snobs impérialistes, on les retrouve aussi imprimées sur du papier peint, des tissus d’ameublement ou des rideaux.

    Un de mes compatriotes, Bernard Mandeville, considéré comme un précurseur du laisser-faire, né en 1670 près de Rotterdam, publia (anonymement) en 1705 en Angleterre un poème intitulé The Grumbling Hive, or Knaves turn’d Honest (La ruche mécontente, ou les coquins devenus honnêtes). L’auteur y peint une ruche florissante et luxueuse qui n’était pas uniquement peuplée d’abeilles travailleuses et irréprochables : on y rencontre également des abeilles frauduleuses et indélicates comme des pique-assiettes, des souteneurs, des cambrioleurs, des imposteurs, des faux-monnayeurs ou encore des corrupteurs. Or aucune abeille qui séjournait dans cette ruche était dénuée d’imposture : « C’est ainsi que chaque partie étant pleine de vice, le tout était cependant un paradis. »

    Mandeville est d’avis que même les gens moralement condamnables contribuent au bien commun. En effet : le vol est un moyen comme un autre de faire circuler l’argent monopolisé par les plus fortunés ! Certes, les intentions d’un débauché sont mauvaises : « cependant, il fournit du travail à des couturiers, des laquais, des parfumeurs, des cuisiniers et des catins, qui, à leur tour, ont besoin de boulangers, de charpentiers, etc.. »  Ainsi, le goût du luxe, le snobisme et la vanité faisaient vivre des millions d’abeilles et stimulaient l’industrie et la prospérité de la ruche. Jusqu’au jour où Jupiter décida de la nettoyer, d’y bannir le vice : les prix s’écroulèrent, les dépenses s’effondrèrent, le chômage et l’impécuniosité se répandirent. C’est la crise. Et la ruche se meurt : «  Le vice est aussi nécessaire à l’État, que la faim l’est pour le faire manger. »

    En 1714, il publia sa suite : The Fable of the Bees, or Private Vices, Publick Benefits ou « La Fable des abeilles, ou Les vices privés font le bien public ». Dans sa préface, il explique une nouvelle fois que les immoralités et les dépravations sont inséparables des sociétés dominantes et que « la richesse et la grandeur ne peuvent subsister sans eux ». Au demeurant, selon Mandeville, la charité est également vicieuse : elle est souvent occasionnée par l’orgueil ou par l’égocentrisme, ou juste pour obtenir des louanges. (voire également mon article « Charité snob » du 21 octobre 2010).  Or l’amour-propre, l’amour de soi et les dépenses de luxe, donc y compris le snobisme, encouragent l’innovation, l’économie et la culture et créent des emplois.

    Bien qu’il désapprouve les vices qui se transforment en crime, sa Fable fut condamnée par les autorités anglaises. Grâce à son ami Thomas Parker  -  Duc de Macclesfield, Juge en Chef de 1710 à 1718, Régent de Grande-Bretagne et d’Irlande d’août à septembre 1714 (le temps nécessaire, après la mort de la reine Anne, de faire venir l’Électeur de Hanovre, le futur  George I), puis Lord Chancellor de 1718 à 1725- il réussit cependant d’en publier plusieurs éditions. Notons toutefois que son lord-protecteur fut jugé coupable de corruption (d’après les chroniqueurs de l’époque, il toucha 100.000 £ voire onze millions de livres actuels) et qu’il termina sa vie dans la pauvreté…

    Soit ! Pour les snobs à miel, la maison Fauchon propose un assortiment de 5 miels 100% français (Acacia de Rhône-Alpes, Bourdaine d’Aquitaine, Fleurs de Provence, Châtaigner des Pyrénées, Sapin de Franche-Comté) pour la modique somme de 10 euros. Si vous souhaitez en cultiver vous-même (ce qui sera encore plus chic) rendez-vous sur le site www.apiculteur.com (afin de connaître le calendrier des stages) et abonnez-vous dare-dare à la revue Abeilles et Fleurs. En revanche, si vous ne possédez pas un espace vert inexploité, ou si vos voisins de terrasse s’y opposent, vous pouvez parrainer une ruche et chaque année recevoir votre miel avec vos armoiries ou votre nom sur l’étiquette des pots (www.untoitpourlesabeilles.fr). Par ailleurs, puisque la charité est considérée comme un vice, ne vous en privez pas et envoyez vos dons généreux à une association pour la protection des abeilles (www.sauvonslesabeilles.com). Maint aristocrate s’intéresse à la vie des abeilles comme la Princesse Irène des Pays-Bas ou encore le Prince Charles, qui possède lui-même une quantité de ruches dans les environs de Balmoral. Pour savoir où acheter ce miel princier, rendez-vous sur www.duchyoriginals.com. Quant à son épouse, la duchesse de Cornouailles, elle se fait des masques (deux par jour pendant 20 minutes) avec une crème à base de venin d’abeilles bios originaires de la Nouvelle-Zélande, afin d’atténuer ses nombreuses rides….  

     

     


  • En période de crise, il arrive fréquemment que le snobisme soit accusé d’abominables défauts. Par exemple, et c’est sans doute l’accusation la plus irréfléchie, c’est qu’il divise les classes sociales et qu’il stimule les privilèges! Comment peut-on avancer une chose pareille: le snobisme s’adresse aussi bien à la grande-duchesse du Luxembourg qu’à son adorable chien de compagnie ou son pédicure-podologue!  Certes, l’humanité subit une très longue période, où le snobisme était réservé à la gente aristocratique, mais les révolutions et réformes du XIX siècle, sans omettre la guillotine et les suffrages, l’ont alors définitivement introduit dans les quartiers populaires. Un retour aux ambiances féodales est peu probable, alors ne perdons pas notre temps à être nostalgique ! Restons plutôt vigilants et politiquement corrects, car par les temps qui courent la chasse aux snobs « bling-bling » est devenue un sport, à l’instar du golf, très répandu. Naomi Campbell ne me contredira point !

    Le « nouveau riche » est en effet un de ses rejetons mal-aimés, mais est-ce de sa faute que la branche « vieil argent » se sentit oppressée? D’ailleurs, ils en profitaient bien, tous ces aristocrates dont les châteaux avaient besoin d’une nouvelle toiture ou d’un ravalement, en écrivant des bibles de protocole et d’étiquette, que ces nouveaux fortunés mais ignorants dévoraient comme des petits macarons de Le Nôtre. C’est franchement injuste !  Les prêcheurs de la bonne morale semblent oublier que le snobisme est né au même moment où naquit le désir d’embourgeoisement du peuple: le snobisme est un enfant légitime de la démocratie !

    Tout cela vous semble peut-être un peu contradictoire. D’un certain point de vue, on pourrait effectivement prétendre que la démocratie fut un échec. En réalité, personne n’en voulait vraiment de cette égalité : chaque être normal veut être au-dessus de la moyenne, et ce n’est pas la peine de me contredire, je sais que j’ai raison. Ainsi, soudainement, des quartiers, des villes, des pays entiers devinrent snobs! Le XIX siècle était non seulement le siècle d’or de la démocratie, mais aussi celui du snobisme, ce qui devait clouer le bec à certains. Selon un professeur de la Sorbonne (ce qui est toutefois une référence à prendre au sérieux), les Hollandais (et j’en suis évidemment très fier) étaient des avant-coureurs! Celui-ci prétend que le luxe dit courant est né aux Pays-Bas du XVII siècle, une des premières républiques du monde qui vit alors son âge d’or. Toutes les nouvelles modes et tendances étaient dictées par la bourgeoisie hollandaise. D’ailleurs, certains peintres, et non les moindres comme Vermeer ou Rembrandt, devinrent très riches et célèbres grâce à tous ces snobs. On pourrait même revendiquer qu’une partie, et peut-être même la plus importante, de la peinture néerlandaise n’aura jamais vu le jour sans le snobisme.

    Soit ! La culture et le snobisme, ce sera pour une autre fois, puisque nous n’avons pas encore terminé avec notre leçon d’aujourd’hui : il existe aussi un snobisme appelé snobisme dit démocratique, apparu au milieu du siècle dernier, pour lequel ce n’est pas le nom qui compte, ni la fortune, mais les mérites personnels, comme les dons artistiques par exemple. Ses adhérents, qui applaudissaient les discours communistes ou les poètes aux idées anarchiques, étaient en quelque sorte les précurseurs de ces snobs appelés « bobos » qui aiment aussi à s’approcher du peuple. Cependant, ce snobisme démocratique (dans certains contextes appelé « snobisme révolutionnaire ») reste, comme celui de l’understatement, réservé à la fine fleur. En France, on connut à la fin du XVIII siècle un snobisme pratiqué par quelques jeunes nobles aux aires de philosophes qui trouvaient la société mal faite et sifflaient la reine Marie-Antoinette en arrivant à l’opéra. Ce n’était pas la première fois qu’un snobisme annonçait une grande tournure dans notre histoire. Indubitablement, le snob est un vrai éclaireur ! Il stimule notre Zeitgeist et l’oblige à se renouveler, car un Zeitgeist qui se languit risque de devenir pédant.

    Pauvre snob ! Songez un instant à ses services rendus à l’humanité, à la mode, au savoir-vivre, à la noblesse - qui pourtant, depuis les Croisades, n’a pas vraiment été d’une grande utilité -, en bref à notre économie et à notre culture ! Alors que ses accusateurs le jugent coupable de tous les maux de cette misérable terre ! Quelle grande injustice ! Franchement, il y a là de quoi déprimer gravement. D’où l’importance d’avoir toujours un magnum d’un brut de bruts au frais. Qui inviter? Mais voyons, on va encore vous accuser de gaspillage. Non, buvez-le tout seul. Cependant, je dois vous avertir que la déprime ne figure plus dans les maladies snobs. Encore une victime de sa popularité ! 

     


  • Leçon 2

    Beati possidentes ou Beati pauperes ? Allez savoir pourquoi, mais le christianisme a toujours tenté d’anoblir la gueuserie. « La pauvreté est, à quelques égards, une condition de l’existence humaine», nous livrait Ernest Renan dans Vie de Jésus en 1870. « Ne dites pas au pauvre qu’il est pauvre par sa faute ; ne l’engagez pas à se délivrer de la pauvreté comme d’une honte ; faites-lui aimer la pauvreté, montrez-lui-en la noblesse, le charme, la beauté, la douceur. » Il y a ces riches qui affirment que l’appétit, le sommeil, les soucis et les jouissances des pauvres sont identiques à ceux des plus fortunés. Il y en a même qui suggèrent que si on leur dévoilait une à une toutes les misères de la richesse, qui sait si les pauvres ne demanderaient pas à le rester ?

    Soit ! Il n’est certes pas honteux d’être démuni financièrement, bien qu’il faille toutefois avouer que ce soit bien gênant. Malheur au pauvre snob dont le train de vie est si frivole et vulnérable. Dans le chapitre précédent, nous avons commencé à vous conditionner et à vous dévoiler comment survivre lorsque, soudainement, on se retrouve raide comme un passe-lacet, fauché comme les blés voir pauvre comme Job.

    Des milliers de questions se posent effectivement à vous lorsque vous êtes contraint de vous installer dans un quartier populaire et de vous confronter au monde mystérieux du prolétariat. Comment organiser un cocktail dînatoire dès lors que vous venez de congédier tout votre personnel? Quel style d’intérieur choisir lorsque la bourse est plate et le gousset vide: ambiance « décadente » ou « minimaliste » ? Peut-on venir avec son caddy Louis Vuitton pour ses achats au marché noir ? Faut-il offrir un rafraîchissement à l’huissier ? Peut-on porter sa tiare dans le métro ?

    Soyez tranquille : vous allez trouver des réponses à toutes ces questions dans les leçons suivantes.

    Commençons par observer les « anciens » pauvres. Avez-vous remarqué qu’ils snobent absolument tout : les petits-bourgeois, les moyens bourgeois, les grands bourgeois, les aristocrates, les intellectuels.  En vérité, ce sont des supersnobs, car ils snobent presque tout ce qui n’est pas de leur niveau, tout ce qu’ils croisent sur leur chemin, avec peut-être comme seule exception certaines célébrités. De préférence celles d’origine humble, ayant réussi à grimper l’échelle sociale, par exemple, comme les footballeurs ou les vedettes du même acabit. Ordinairement, on ne snobe pas les gens qui nous sont supérieurs, bien au contraire, elles sont si utiles pour le name-dropping, mais ces anciens pauvres si ! C’est comme ça. Tandis que chez les snobs plutôt conservateurs, comme les BCBG par exemple, il se peut que la bonne éducation et la pensée politiquement correcte leur proscrivent d’extérioriser leur mépris. Ceux-là auront nécessairement beaucoup plus de peine à s’intégrer dans une ambiance peu cultivée. Et il est fort probable que les œuvres de la baronne de Rothschild, avec tout le respect que je lui dois, ne leur seront pas d’un grand soutien.

    D’ailleurs, si, par malchance, vous vous voyez forcé de quitter votre immeuble de standing pour vous établir dans un endroit moins snob dans une zone très industrialisée, il sera prévoyant de vous faire aider par un hypnotiseur ou une magnétiseuse. N’hésitez pas à faire appel à votre psychiatre, votre conseiller Feng-Shui, votre herboriste, votre masseur, votre acupuncteur, votre pharmacien, votre généraliste ou votre diététicienne afin de vous préparer à tous ces changements. Et là, ce n’est vraiment pas le moment de devenir radin. Ne licenciez pas votre femme de ménage non plus : elle vous sera d’ici peu une mine d’informations utiles pour ce qui est des coutumes populaires, des expressions du cru, des « petites » adresses, des astuces. Je répète : il n’y a pas de mal à se faire assister. Mais ne criez pas sur les toits que vous vous faites coacher par votre aide-ménagère, car cela pourrait faire mauvais genre. Faites-le discrètement.

    « Les pauvres ont la glace en hiver, les riches en été » peut-on lire dans un tract anarchiste des années 1960. Il est indéniable que certains snobismes sont très liés à la saison. Se montrer à la Toussaint à Megève n’a aucun intérêt. Mais il faut tout de même admettre que le peuple est plus habitué à la dureté et aux restrictions. On ne peut le nier : nous nous sommes gravement embourgeoisés. Assommés par la consommation, nos corps et âmes nobles se sont un peu ramollis. Même si Boris Vian soutient dans sa célèbre chanson J’suis snob, que la vie d’un snob égale parfois « une vie de galérien »,  il faut constater que les snobs disons « plébéiens » ont une longueur d’avance sur les snobs des couches supérieures. Ils n’ont pas besoin de changer leurs menus, leurs goûts drastiquement : leurs papilles et neurones sont déjà parfaitement adaptés à toutes sortes d'épouvantes. Ils sont déjà familiers avec les traditions des habitants d’un HLM (qui est un immeuble divisé en plusieurs appartements, réservés aux personnes aux faibles revenus, les loyers y sont très modérés, mais en revanche, ils ne sont pas très adaptés à votre lit à la duchesse, à votre lustre de Murano ou à tout autre objet ou meuble nécessitant une certaine hauteur sous plafond).

    Courage ! Affichez votre bravoure chevaleresque, armez-vous de votre sabre, sautez sur votre pur-sang frison et supposez-vous aux temps des croisades, en combattant quelque Turc bien ombrageux! Coiffez votre casque colonial et imaginez-vous dans une jungle obscure et inhospitalière (n’oubliez pas votre chasse-mouche !), soudainement face à une ethnie inconnue de notre civilisation. « La crise est un état extraordinairement productif. Il faut juste lui enlever l’arrière-goût d’une catastrophe», écrivait Max Frisch. Il semble que savoir s’adapter à des situations hypothétiques et fâcheuses est une preuve de grandeur d’âme et de valeurs que l’on attribue souvent aux aristocrates. Même si cela vous paraît légèrement judéo-chrétien, par définition, vous êtes obligé de vous y mettre aussi. Allez... c’est pour une bonne cause….

     

     


  • Leçon 1

    Les économistes servent uniquement à dire aux fortunés, qu'ils sont fortunés et aux miséreux qu'ils sont miséreux. C'est déjà fort désagréable d'être pauvre, sans que l'on vous le rappelle systématiquement. A l'instar des économistes, les sociologues ne sont pas d'un grand secours non plus, lorsque les malheurs financiers nous accablent. Pourtant, selon les grands sociologues de la première heure, leur mission, comprendre le fonctionnement d'une société, devait constituer un moyen de lutter contre ses fatalités et épreuves comme les crises économiques. Ces dames et messieurs pourraient tout de même, et cela me semble la moindre des choses, vous indiquer quelques adresses et conseils afin de faire vos emplettes plus avantageusement.

    Soit! Généralement, pour un snob et tout autre humain de posture et de psychologie normales, il n'est pas chose facile (et certainement pas saine non plus) de se priver brusquement de ses friandises et ses boissons habituelles, de subir l'excitation des soldes, de prendre les transports en commun, de migrer dans un quartier populaire, de partager l’escalier avec des sous-espèces humaines. De risquer sa vie ! Puisque nullement accoutumé et constitué à endurer une telle absence de savoir-vivre, il est quasi certain que la pègre profitera de lui. Le nouveau pauvre est une proie facile!  

    Car il est évident que ces « anciens » pauvres savent déjà où se trouve le Lidl  le plus  proche, alors que le nouveau miséreux ignore totalement ce concept allemand et minimaliste afin de réduire les coûts et de proposer des produits à prix très bas. Attention, si vous y attendez une architecture d’intérieure « minimaliste » à la Rem Koolhaas, vous serez probablement déçu. Parce que dans ce contexte, « minimaliste » n’a rien de très snob et est plutôt synonyme de « minimal », de «dépouillé sans charme ». Il n’y aura pas une jolie et douce musique qui vous accompagne pendant que vous faites votre choix (si choix y a !), les étagères ne seront pas en palissandre mais en boîtes en carton ou, carrément, inexistantes.

    Par ailleurs, beaucoup de temps pour réfléchir, vous n’en aurez pas car la clientèle et les caissières y sont également très rudimentaires dans leurs politesses. Préparez-vous à être bousculé, poussé et culbuté. Vous pouvez effectivement feindre y mettre vos pieds délicats pour la toute première fois, ou faire croire que vous cherchez urgemment votre femme de ménage ou votre concierge ou que vous êtes perdu. Mais ces poses-là ne sont pas recyclables : elles ne servent qu’une fois. Faire vos acquisitions dans le Lidl d’une ville éloignée risque de devenir très lassant aussi. Chaussez donc vos lunettes noires Gucci (mieux vaut rester incognito), prenez un air impassible, montrez à quel point votre sang-froid peut être glacial et de quel fer votre hardiesse est faite ! En bref : votre snobisme inné vous aidera à mieux subir ces horreurs.

    En outre, vos cours particuliers à l’Institut Goethe vous seront très inutiles! Car grâce à votre culture générale, vous aurez sans doute un petit avantage sur les habitués qui ont probablement du mal à reconnaître certains produits teutons ou à lire leurs étiquettes. L’idée qu’ils confondent une poudre de lessive avec du lait en poudre, les croquettes pour chat avec des gâteaux apéritifs ou une eau de javel avec un breuvage bavarois est par ailleurs fort amusante. Car occasionnellement, on y trouve des délicatesses allemandes, comme des petits pains d’épices de Nuremberg, consommés outre-Rhin en grande quantité pendant la période de Noël. Chez nous, il faut parfois attendre Pâques pour qu’ils soient dans les rayons. Vérifiez donc toujours les dates de fabrication. Notez également que Lidl a ouvert, en 2009, son premier magasin en Suisse. C’est plutôt rassurant, vous ne trouvez pas ? Surtout si vous passez la saison à Gstaad. 

     

     

     





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique