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Abeilles snobs
C’est un fait incontournable : les abeilles occupent une place très importante dans notre bestiaire snob. Elles ont une reine, elles nous procurent de la gelée royale et, de surcroît, à l’instar des lions, aigles, cygnes et dragons, elles figurent dans un grand nombre de blasons. En héraldique d’empire, les princes (non souverains) portaient un chef (pièce honorable qui est en haut de l’écu) d’azur agrémenté d’abeilles dorées. Napoléon en fit broder sur son manteau. De nos jours, au grand plaisir des snobs impérialistes, on les retrouve aussi imprimées sur du papier peint, des tissus d’ameublement ou des rideaux.
Un de mes compatriotes, Bernard Mandeville, considéré comme un précurseur du laisser-faire, né en 1670 près de Rotterdam, publia (anonymement) en 1705 en Angleterre un poème intitulé The Grumbling Hive, or Knaves turn’d Honest (La ruche mécontente, ou les coquins devenus honnêtes). L’auteur y peint une ruche florissante et luxueuse qui n’était pas uniquement peuplée d’abeilles travailleuses et irréprochables : on y rencontre également des abeilles frauduleuses et indélicates comme des pique-assiettes, des souteneurs, des cambrioleurs, des imposteurs, des faux-monnayeurs ou encore des corrupteurs. Or aucune abeille qui séjournait dans cette ruche était dénuée d’imposture : « C’est ainsi que chaque partie étant pleine de vice, le tout était cependant un paradis. »
Mandeville est d’avis que même les gens moralement condamnables contribuent au bien commun. En effet : le vol est un moyen comme un autre de faire circuler l’argent monopolisé par les plus fortunés ! Certes, les intentions d’un débauché sont mauvaises : « cependant, il fournit du travail à des couturiers, des laquais, des parfumeurs, des cuisiniers et des catins, qui, à leur tour, ont besoin de boulangers, de charpentiers, etc.. » Ainsi, le goût du luxe, le snobisme et la vanité faisaient vivre des millions d’abeilles et stimulaient l’industrie et la prospérité de la ruche. Jusqu’au jour où Jupiter décida de la nettoyer, d’y bannir le vice : les prix s’écroulèrent, les dépenses s’effondrèrent, le chômage et l’impécuniosité se répandirent. C’est la crise. Et la ruche se meurt : « Le vice est aussi nécessaire à l’État, que la faim l’est pour le faire manger. »
En 1714, il publia sa suite : The Fable of the Bees, or Private Vices, Publick Benefits ou « La Fable des abeilles, ou Les vices privés font le bien public ». Dans sa préface, il explique une nouvelle fois que les immoralités et les dépravations sont inséparables des sociétés dominantes et que « la richesse et la grandeur ne peuvent subsister sans eux ». Au demeurant, selon Mandeville, la charité est également vicieuse : elle est souvent occasionnée par l’orgueil ou par l’égocentrisme, ou juste pour obtenir des louanges. (voire également mon article « Charité snob » du 21 octobre 2010). Or l’amour-propre, l’amour de soi et les dépenses de luxe, donc y compris le snobisme, encouragent l’innovation, l’économie et la culture et créent des emplois.
Bien qu’il désapprouve les vices qui se transforment en crime, sa Fable fut condamnée par les autorités anglaises. Grâce à son ami Thomas Parker - Duc de Macclesfield, Juge en Chef de 1710 à 1718, Régent de Grande-Bretagne et d’Irlande d’août à septembre 1714 (le temps nécessaire, après la mort de la reine Anne, de faire venir l’Électeur de Hanovre, le futur George I), puis Lord Chancellor de 1718 à 1725- il réussit cependant d’en publier plusieurs éditions. Notons toutefois que son lord-protecteur fut jugé coupable de corruption (d’après les chroniqueurs de l’époque, il toucha 100.000 £ voire onze millions de livres actuels) et qu’il termina sa vie dans la pauvreté…
Soit ! Pour les snobs à miel, la maison Fauchon propose un assortiment de 5 miels 100% français (Acacia de Rhône-Alpes, Bourdaine d’Aquitaine, Fleurs de Provence, Châtaigner des Pyrénées, Sapin de Franche-Comté) pour la modique somme de 10 euros. Si vous souhaitez en cultiver vous-même (ce qui sera encore plus chic) rendez-vous sur le site www.apiculteur.com (afin de connaître le calendrier des stages) et abonnez-vous dare-dare à la revue Abeilles et Fleurs. En revanche, si vous ne possédez pas un espace vert inexploité, ou si vos voisins de terrasse s’y opposent, vous pouvez parrainer une ruche et chaque année recevoir votre miel avec vos armoiries ou votre nom sur l’étiquette des pots (www.untoitpourlesabeilles.fr). Par ailleurs, puisque la charité est considérée comme un vice, ne vous en privez pas et envoyez vos dons généreux à une association pour la protection des abeilles (www.sauvonslesabeilles.com). Maint aristocrate s’intéresse à la vie des abeilles comme la Princesse Irène des Pays-Bas ou encore le Prince Charles, qui possède lui-même une quantité de ruches dans les environs de Balmoral. Pour savoir où acheter ce miel princier, rendez-vous sur www.duchyoriginals.com. Quant à son épouse, la duchesse de Cornouailles, elle se fait des masques (deux par jour pendant 20 minutes) avec une crème à base de venin d’abeilles bios originaires de la Nouvelle-Zélande, afin d’atténuer ses nombreuses rides….