• Comment rester snob en temps de crise? (3)

    En période de crise, il arrive fréquemment que le snobisme soit accusé d’abominables défauts. Par exemple, et c’est sans doute l’accusation la plus irréfléchie, c’est qu’il divise les classes sociales et qu’il stimule les privilèges! Comment peut-on avancer une chose pareille: le snobisme s’adresse aussi bien à la grande-duchesse du Luxembourg qu’à son adorable chien de compagnie ou son pédicure-podologue!  Certes, l’humanité subit une très longue période, où le snobisme était réservé à la gente aristocratique, mais les révolutions et réformes du XIX siècle, sans omettre la guillotine et les suffrages, l’ont alors définitivement introduit dans les quartiers populaires. Un retour aux ambiances féodales est peu probable, alors ne perdons pas notre temps à être nostalgique ! Restons plutôt vigilants et politiquement corrects, car par les temps qui courent la chasse aux snobs « bling-bling » est devenue un sport, à l’instar du golf, très répandu. Naomi Campbell ne me contredira point !

    Le « nouveau riche » est en effet un de ses rejetons mal-aimés, mais est-ce de sa faute que la branche « vieil argent » se sentit oppressée? D’ailleurs, ils en profitaient bien, tous ces aristocrates dont les châteaux avaient besoin d’une nouvelle toiture ou d’un ravalement, en écrivant des bibles de protocole et d’étiquette, que ces nouveaux fortunés mais ignorants dévoraient comme des petits macarons de Le Nôtre. C’est franchement injuste !  Les prêcheurs de la bonne morale semblent oublier que le snobisme est né au même moment où naquit le désir d’embourgeoisement du peuple: le snobisme est un enfant légitime de la démocratie !

    Tout cela vous semble peut-être un peu contradictoire. D’un certain point de vue, on pourrait effectivement prétendre que la démocratie fut un échec. En réalité, personne n’en voulait vraiment de cette égalité : chaque être normal veut être au-dessus de la moyenne, et ce n’est pas la peine de me contredire, je sais que j’ai raison. Ainsi, soudainement, des quartiers, des villes, des pays entiers devinrent snobs! Le XIX siècle était non seulement le siècle d’or de la démocratie, mais aussi celui du snobisme, ce qui devait clouer le bec à certains. Selon un professeur de la Sorbonne (ce qui est toutefois une référence à prendre au sérieux), les Hollandais (et j’en suis évidemment très fier) étaient des avant-coureurs! Celui-ci prétend que le luxe dit courant est né aux Pays-Bas du XVII siècle, une des premières républiques du monde qui vit alors son âge d’or. Toutes les nouvelles modes et tendances étaient dictées par la bourgeoisie hollandaise. D’ailleurs, certains peintres, et non les moindres comme Vermeer ou Rembrandt, devinrent très riches et célèbres grâce à tous ces snobs. On pourrait même revendiquer qu’une partie, et peut-être même la plus importante, de la peinture néerlandaise n’aura jamais vu le jour sans le snobisme.

    Soit ! La culture et le snobisme, ce sera pour une autre fois, puisque nous n’avons pas encore terminé avec notre leçon d’aujourd’hui : il existe aussi un snobisme appelé snobisme dit démocratique, apparu au milieu du siècle dernier, pour lequel ce n’est pas le nom qui compte, ni la fortune, mais les mérites personnels, comme les dons artistiques par exemple. Ses adhérents, qui applaudissaient les discours communistes ou les poètes aux idées anarchiques, étaient en quelque sorte les précurseurs de ces snobs appelés « bobos » qui aiment aussi à s’approcher du peuple. Cependant, ce snobisme démocratique (dans certains contextes appelé « snobisme révolutionnaire ») reste, comme celui de l’understatement, réservé à la fine fleur. En France, on connut à la fin du XVIII siècle un snobisme pratiqué par quelques jeunes nobles aux aires de philosophes qui trouvaient la société mal faite et sifflaient la reine Marie-Antoinette en arrivant à l’opéra. Ce n’était pas la première fois qu’un snobisme annonçait une grande tournure dans notre histoire. Indubitablement, le snob est un vrai éclaireur ! Il stimule notre Zeitgeist et l’oblige à se renouveler, car un Zeitgeist qui se languit risque de devenir pédant.

    Pauvre snob ! Songez un instant à ses services rendus à l’humanité, à la mode, au savoir-vivre, à la noblesse - qui pourtant, depuis les Croisades, n’a pas vraiment été d’une grande utilité -, en bref à notre économie et à notre culture ! Alors que ses accusateurs le jugent coupable de tous les maux de cette misérable terre ! Quelle grande injustice ! Franchement, il y a là de quoi déprimer gravement. D’où l’importance d’avoir toujours un magnum d’un brut de bruts au frais. Qui inviter? Mais voyons, on va encore vous accuser de gaspillage. Non, buvez-le tout seul. Cependant, je dois vous avertir que la déprime ne figure plus dans les maladies snobs. Encore une victime de sa popularité !