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    Je viens de lire, avec une stupéfaction démesurée (je me croyais pourtant ultra-blasé), que le 13 novembre sera « la journée de la gentillesse », parrainée par le magazine Psychologies qui stimule cette entreprise hasardeuse par un article très prometteur: « Gentillesse : des bienfaits scientifiquement prouvés » ! Non, ce n’est pas une publicité pour le dernier sérum « anti-ride » mijoté par un grand laboratoire ! Personnellement, je suis enchanté d’y échapper et de passer ce week-end dans une ravissante malouinière avec jardin clos aux bords de la Rance et d’y déguster en toute tranquillité quelques douzaines d’huîtres. Je ne suis pourtant pas un misanthrope (et si je le suis, je le suis sûrement de façon très cartésienne) mais m’imposer une journée de la gentillesse, sous prétexte qu’elle me fera du bien, franchement, c’est me prendre pour un arriéré.

    Certes : tout le monde n’a pas son propre coach anti-âge. Mais, je n’ai nullement le temps de me lancer dans des longues explications philosophiques sur les agréments de la médisance et la méchanceté, qui risqueront, par surcroît, d’être incompris par les lecteurs de basse condition : j’ai mon baise-en-ville à préparer. Je dirais toutefois, et chaque enfant de constitution normale de quatre ans vous le confirmera, que la gentillesse est beaucoup plus épuisante et ennuyeuse que la méchanceté. Et croyez-moi, le cocktail fatigue et spleen, rien de mieux pour accentuer vos rides et poches sous vos yeux !

    Là, je n’ai vraiment pas le temps (la marée n’attend pas), mais dès mon retour, il faudra sérieusement songer à monter une journée vouée au snobisme. Avec des articles « Snobisme : massage de votre ego » ou « Confessions d’un snob » et des tests « Etes-vous un vrai snob ? », « Etes-vous trop snob ? » ou encore « Osez-vous le snobisme ? »  Je me tiens évidemment à la disposition du magazine, après ma petite cure d’huîtres. La date ? Il faut vraiment que ce soit une journée fixe ? Je propose que tout le monde choisisse celle qui lui convient. Il faut alors être en grande forme ! Imaginez la tête de votre patron ou de votre belle-mère, lorsque vous leur annoncez avec un dédain ultra-raffiné : « C’est ma journée snob aujourd’hui ! » Et même s’il vous faut deux ou trois journées, voire quelques semaines ou mois de plus, prenez-les à votre guise. Nous ne sommes pas aussi radins que les gentils !   

     


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    J'suis snob par Boris Vian

    J'suis snob... J'suis snob
    C'est vraiment le seul défaut que je gobe
    Ça demande des mois de turbin
    C'est une vie de galérien
    Mais lorsque je sors à son bras
    Je suis fier du résultat
    J'suis snob... Foutrement snob
    Tous mes amis le sont
    On est snobs et c'est bon
     
    Chemises d'organdi, chaussures de zébu
    Cravate d'Italie et méchant complet vermoulu
    Un rubis au doigt... de pied, pas celui-là
    Les ongles tout noirs et un très joli petit mouchoir
    J'vais au cinéma voir des films suédois
    Et j'entre au bistro pour boire du whisky à gogo
    J'ai pas mal au foie, personne fait plus ça
    J'ai un ulcère, c'est moins banal et plus cher
     
    J'suis snob... J'suis snob
    Je m'appelle Patrick, mais on dit Bob
    Je fais du cheval tous les matins
    Car j'adore l'odeur du crottin
    Je ne fréquente que des baronnes
    Aux noms comme des trombones
    J'suis snob... Excessivement snob
    Et quand je parle d'amour
    C'est tout nu dans la cour
     
    On se réunit avec les amis
    Tous les vendredis, pour faire des snobisme-parties
    Il y a du coca, on déteste ça
    Et du camembert qu'on mange à la petite cuillère
    Mon appartement est vraiment charmant
    J'me chauffe au diamant, on ne peut rien rêver de plus fumant
    J'avais la télé, mais ça m'ennuyait
    Je l'ai retournée... de l'autre côté c'est passionnant
     
    J'suis snob... J'suis snob
    J'suis ravagé par ce microbe
    J'ai des accidents en Jaguar
    Je passe le mois d'août au plumard
    C'est dans les petits détails comme ça
    Que l'on est snob ou pas
    J'suis snob... Encore plus snob que tout à l'heure
    Et quand je serai mort
    Je veux un suaire de chez Dior!


  • Beatrix des Pays-Bas se soucie de vous, chère lectrice et cher lecteur, vous qui passez votre temps derrière votre ordinateur. Elle pense que cela est néfaste pour votre vie sociale et mondaine. Elle éprouve apparemment aussi de la pitié pour ceux qui sont inlassablement collés à leurs téléphones mobiles, leurs I-pods et I-phones.  Il faut dire qu’elle est assez réputée pour son attitude parfois brute et impertinente. Pourtant, dans sa jeunesse, elle fut souvent appelée « Princesse Sourire ». Ce trait de caractère hautain est probablement un héritage d’une de ses ancêtres, la grande-duchesse russe Anna Pavlovna, qui occupa avec son époux le trône néerlandais au début du 19ème siècle. Selon les chroniques, elle traita même sa belle-fille, pourtant une princesse allemande et une fille de sa sœur, avec un fort dédain. Cette dernière demanda d'ailleurs à être inhumée dans sa robe de mariée, prétendant qu’elle avait cessé de vivre le jour de son mariage. Les Russes ont indubitablement un sens inné de la tragédie. Or pendant son séjour terrestre dans les méandres et les polders, cette Sophie de Wurtemberg alléguait sans la moindre gêne, que son mari était inapte et qu’elle ferait une bien meilleure régente que lui. Il est vrai que le New York Times de l’époque considérait son époux, Guillaume III comme « l’être le plus dépravé de notre temps ».  Par surcroît, après la mort de son épouse, ce roi envisagea sérieusement de se remarier avec une barmaid américaine puis avec une chanteuse d’opéra parisienne qui n’est même pas référencée par Wikepedia ! Quant à la presse néerlandaise, elle surnomma son souverain le « Roi Gorille ».

    Cela vous rappelle peut-être certaines péripéties d’Elisabeth II d’Angleterre, de son mari surnommé « Duke of Hazard » (« hazard »  est anglais pour « bévue » ou « faux-pas »), de sa feue bru ou de son fils au sobriquet fort nuisible de « Prince Tampon ». La pauvre souveraine britannique a été obligée de mettre beaucoup d’eau dans son gin, à l’instar de sa collègue au royaume des Néerlandais, dont les brus ont également toutes des origines roturières : une fréquentait même un « baron » de la drogue avant de se fiancer au prince. Heureusement que les morts ne sont pas réellement capables de se retourner dans leurs tombes, car maint sarcophage royal aurait été abîmé. Néanmoins, même si nos reines actuelles doivent se montrer plus souples, elles restent incontestablement des snobs conservatrices : lorsqu’on représente la tradition, le protocole et l’étiquette, on n’a guère le choix, n’est-ce pas, Madame la Baronne ? Ainsi, les monarques progressistes appartiennent à une espèce plutôt rare. Certes, les livres d’histoire mentionnent quelques despotes éclairés (dont Catherine II de Russie, l’ancêtre des reines néerlandaises évoquées), mais leurs réformes et mesures servaient en premier lieu leurs propres intérêts. Frédéric II de Prusse, par exemple, grand snob, était non seulement le plus grand agriculteur de son pays, mais aussi son principal banquier…

    Hélas ! dira mainte majesté, ces temps-là appartiennent au passé. Aujourd’hui, les rois et les reines ont la vie pénible : les gouvernements leur demandent sans cesse de justifier leurs vacances, leur personnel, la moindre dépense. Or, inlassablement suivis par les paparazzi, il est quasiment impossible d’avoir un peu de privacy pour s’adonner à des dépenses délicieusement inutiles et des frivolités généralement interdites à une famille royale. Nonobstant, et contrairement à Beatrix qui boude toutes les merveilles électroniques de notre époque, Elisabeth II, sans doute forcée par ses conseillers en relations publiques qui veillent sur la renommée de la monarchie, s’est offerte « une page » sur Facebook. La reine anglaise se veut donc très contemporaine et moderne, notez toutefois qu’il est inutile de se précipiter : vous ne pouvez pas vous y inscrire comme son « ami ». Et pour cause : considérant le nombre de ses sujets dans le Commonwealth, elle aurait eu 1.921.974.000  « amis » dans les 24 heures qui suivent! Les logiciels de Facebook qui explosent, la reine persécutée par ses avocats féroces comme la pire des terroristes : imaginez le drame ! 

    N’allez toutefois pas croire que c’est par sympathie pour Beatrix que je ne suis pas inscrit sur Facebook : je certifie que ma vie mondaine n’a nullement souffert  de mes villégiatures sur la toile.  Je rappelle simplement un fait incontournable à la souveraine britannique: "Madamela popularité est un snobbery-killer par excellence!" 

     


  • Ingrédients : 1 saumon, court-bouillon, 8 œufs, 80 gr de beurre ramolli, 1 c à s de mayonnaise, 2 c à s de purée d’épinards, 2 c à s de purée de tomates concentrée, gelée d’estragon, 2 citrons non traités, sauce verte.

    Pour la sauce « verte » : mayonnaise, cerfeuil, estragon, cresson et épinards.

    Faites cuire le saumon au court-bouillon. Laissez refroidir à moitié, égouttez et dressez-le sur un plat long et froid. Dépouillez. Partagez le filet en deux d’abord dans la longueur, et ensuite, découpez en travers chaque partie. Passez également le couteau à plat le long de l’arête pour détacher toute la chair afin de faciliter le service. Partagez les œufs durs en deux en longueur, passez les jaunes au tamis et délayez-les avec le beurre. Ajoutez sel, poivre et la mayonnaise. Divisez cette purée en deux parties : dans une moitié, ajoutez un peu de purée d’épinards (ou tout autre ingrédient pour la verdir) et dans l’autre moitié la purée de tomates. Remplissez les moitiés d’œuf avec la purée verte, l’autre avec la purée rose. Alternez les œufs autour de la truite, en les posant sur une rondelle de citron.

    Faites blanchir dans de l’eau salée un mélange de cerfeuil, de cresson, d’estragon et d’épinards. Passez au tamis et ajoutez cette purée à une mayonnaise très ferme. Servez cette sauce « verte » à part. Elle peut également servir à colorer vos œufs. 


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    J’ai passé mon week-end de la Toussaint à Maastricht. Jadis, avant le traité, à part quelques amateurs d’histoire qui savaient que D’Artagnan y laissa sa peau, rares étaient vos compatriotes au courant de l’existence de cette ville. D’ailleurs, certains employés de la SNCF éprouvent encore aujourd’hui beaucoup de peine pour la situer sur la carte européenne. Ecrire et prononcer son nom correctement ne semble pas une mince affaire non plus. Soit !, la ville est charmante, riche de plusieurs remparts (dont certains joliment plantés de plantes aromatiques), une imposante quantité d’églises de toutes les époques (y compris une collection ahurissante de reliquaires) et un véritable labyrinthe de ruelles et grandes places où l’on fréquente les boutiques et la bourgeoisie chics de la ville. La ville possède même un musée avec quelque Breughel (n’omettez pas la foire TEFAF si vous souhaitez vous en offrir un) si vous êtes un snob du genre artistique ou culturel. Vous pouvez également y participer annuellement au Carnaval, mais n’oubliez pas : vous êtes à dix mille lieux de Venise. La fête se passe surtout dans des brasseries, car il n’y a pas de palais digne de ce nom au bord de la Meuse.  Ici, la seule noblesse qui participe aux parades et aux réceptions est un roturier du cru élu par le comité des festivités et qui reçoit le titre de « Prince » pour la durée de la saison. Une femme avertie en vaut deux !

    Par ailleurs, évitez également l’Hôtel de l’Empereur qui a perdu au moins deux de ses quatre étoiles. Comme quoi, il faut toujours se méfier, même des hôtels aux noms pourtant très prometteurs. Je n’y logerai même pas un hobereau hongrois. Aux âmes sensibles nous signalons également que la ville est parsemée d’effigies, de bustes et de statues d’André Rieu, qui est originaire de cette ville, et dont les interprétations musicales adaptées au « grand public »  et souvent jugées d'un style pompier, risquent de faire fuir les snobs conservateurs et puristes. Réfugiez-vous alors dans un de ces ravissants petits manoirs dans la campagne limbourgeoise, où autrefois une aristocratie aussi abondante qu’insolite (de Charlemagne à Guillaume III des Pays-Bas, sans négliger l’encombrement sensationnel de comtes, ducs, marquis, barons et leurs épouses : dans cette partie des Pays-Bas, un village pourvu de trois, quatre ou cinq châteaux n’est pas une curiosité), chassait le cerf. Au demeurant, Saint-Lambert, accessoirement un évêque issu d’une famille aristocratique, éduqué à la cour royale mérovingienne, un des conseillers les plus écoutés de plusieurs rois austrasiens et prédécesseur du patron de tous les chasseurs, Saint-Hubert, était également originaire de cette ville. Il sera assassiné par un domesticus (une sorte de Premier Ministre) un peu trop zélé (fléau dont souffrent beaucoup de domestiques) de Pépin le Gros, puisque l’évêque désapprouva la naissance d’un bâtard de ce dernier. Il paraît que le saint homme se vengea à son tour et frappa ses assassins de maladies horribles.

    Soyez donc sages, surtout si votre budget « personnel » a déjà sérieusement souffert de la crise, et consultez d’abord le calendrier sur le site de l’artiste afin de vous assurer qu’il soit bien en tournée à Mexico City ou à Melbourne, pour ne pas être tenté de faire cette besogne soi-même. Certes, dans les oreilles d’un hypocondre snob voué à de très exclusives maladies, à des cas très rares et loin des maux des communs, un malaise suite à une malédiction prononcée par un martyr médiéval sonne sûrement comme le nec plus ultra des maladies snobs et doit égaler une fracture réduite par le plus illustre des professeurs ou, éventuellement, par son « bras droit ». Or parfois le nombre de bras droits d’un thérapeute dépasse beaucoup le nombre habituel, mais, pardi ! on connaît le même embarras dans le dépôt des reliques du Vatican : ainsi, certains saints ont vingt-trois doigts, trois crânes ou cinq jambes, afin de satisfaire le "grand public"... ! Prions pour nos frères les snobs puristes qu’André Rieu n’en aura pas autant ! 

    Singulièrement vôtre,

    anton@snoblissime.com

     

     


  • L’âne portant des reliques

     

    Un baudet, chargé de reliques,
    S’imagina qu’on l’adorait.
    Dans ce penser il se carrait,
    Recevant comme siens l’encens et les cantiques.
    Quelqu’un vit l’erreur, et lui dit :
    « Maître baudet, ôtez-vous de l’esprit
    Une vanité si folle.
    Ce n’est pas vous, c’est l’idole
    A qui cet honneur se rend,
    Et que la gloire en est due. »
    D’un magistrat ignorant
    C’est la robe qu’on salue.

     


  • Le geai paré des plumes du paon

     

    Un paon muait : un geai prit son plumage ;
    Puis après se l’accommoda ;
    Puis parmi d’autres paons tout fier se panada,
    Croyant être un beau personnage.
    Quelqu’un le reconnut : il se vit bafoué,
    Berné, sifflé, moqué, joué,
    Et par messieurs les paons plumé d’étrange sorte ;
    Même vers ses pareils s’étant réfugié,
    Il fut par eux mis à la porte.
    Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
    Qui se parent souvent des dépouilles d’autrui,
    Et que l’on nomme plagiaires.
    Je m’en tais, et ne veux leur causer nul ennui ;
    Ce ne sont pas là mes affaires. 

     


  • La grenouille qui se veut faire aussi gros que le bœuf

     

    Une grenouille vit un bœuf
    Qui lui sembla de belle taille.
    Elle qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,
    Envieuse s’étend, et s’enfle, et se travaille
    Pour égaler l’animal en grosseur,
    Disant : « Regardez bien, ma sœur ;
    Est-ce assez ? dites-moi. N’y suis-je point encore ?
    —   Nenni. — M’y voici donc ? — Point du tout. — M’y voilà ?
    —   Vous n’en approchez point. » La chétive pécore
    S’enfla si bien qu’elle creva.
    Le monde est plein de gens qui ne sont plus sages :
    Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs ;
    Tout petit prince a des ambassadeurs :
    Tout marquis veut avoir des pages.