• Toussaint snob

     

    J’ai passé mon week-end de la Toussaint à Maastricht. Jadis, avant le traité, à part quelques amateurs d’histoire qui savaient que D’Artagnan y laissa sa peau, rares étaient vos compatriotes au courant de l’existence de cette ville. D’ailleurs, certains employés de la SNCF éprouvent encore aujourd’hui beaucoup de peine pour la situer sur la carte européenne. Ecrire et prononcer son nom correctement ne semble pas une mince affaire non plus. Soit !, la ville est charmante, riche de plusieurs remparts (dont certains joliment plantés de plantes aromatiques), une imposante quantité d’églises de toutes les époques (y compris une collection ahurissante de reliquaires) et un véritable labyrinthe de ruelles et grandes places où l’on fréquente les boutiques et la bourgeoisie chics de la ville. La ville possède même un musée avec quelque Breughel (n’omettez pas la foire TEFAF si vous souhaitez vous en offrir un) si vous êtes un snob du genre artistique ou culturel. Vous pouvez également y participer annuellement au Carnaval, mais n’oubliez pas : vous êtes à dix mille lieux de Venise. La fête se passe surtout dans des brasseries, car il n’y a pas de palais digne de ce nom au bord de la Meuse.  Ici, la seule noblesse qui participe aux parades et aux réceptions est un roturier du cru élu par le comité des festivités et qui reçoit le titre de « Prince » pour la durée de la saison. Une femme avertie en vaut deux !

    Par ailleurs, évitez également l’Hôtel de l’Empereur qui a perdu au moins deux de ses quatre étoiles. Comme quoi, il faut toujours se méfier, même des hôtels aux noms pourtant très prometteurs. Je n’y logerai même pas un hobereau hongrois. Aux âmes sensibles nous signalons également que la ville est parsemée d’effigies, de bustes et de statues d’André Rieu, qui est originaire de cette ville, et dont les interprétations musicales adaptées au « grand public »  et souvent jugées d'un style pompier, risquent de faire fuir les snobs conservateurs et puristes. Réfugiez-vous alors dans un de ces ravissants petits manoirs dans la campagne limbourgeoise, où autrefois une aristocratie aussi abondante qu’insolite (de Charlemagne à Guillaume III des Pays-Bas, sans négliger l’encombrement sensationnel de comtes, ducs, marquis, barons et leurs épouses : dans cette partie des Pays-Bas, un village pourvu de trois, quatre ou cinq châteaux n’est pas une curiosité), chassait le cerf. Au demeurant, Saint-Lambert, accessoirement un évêque issu d’une famille aristocratique, éduqué à la cour royale mérovingienne, un des conseillers les plus écoutés de plusieurs rois austrasiens et prédécesseur du patron de tous les chasseurs, Saint-Hubert, était également originaire de cette ville. Il sera assassiné par un domesticus (une sorte de Premier Ministre) un peu trop zélé (fléau dont souffrent beaucoup de domestiques) de Pépin le Gros, puisque l’évêque désapprouva la naissance d’un bâtard de ce dernier. Il paraît que le saint homme se vengea à son tour et frappa ses assassins de maladies horribles.

    Soyez donc sages, surtout si votre budget « personnel » a déjà sérieusement souffert de la crise, et consultez d’abord le calendrier sur le site de l’artiste afin de vous assurer qu’il soit bien en tournée à Mexico City ou à Melbourne, pour ne pas être tenté de faire cette besogne soi-même. Certes, dans les oreilles d’un hypocondre snob voué à de très exclusives maladies, à des cas très rares et loin des maux des communs, un malaise suite à une malédiction prononcée par un martyr médiéval sonne sûrement comme le nec plus ultra des maladies snobs et doit égaler une fracture réduite par le plus illustre des professeurs ou, éventuellement, par son « bras droit ». Or parfois le nombre de bras droits d’un thérapeute dépasse beaucoup le nombre habituel, mais, pardi ! on connaît le même embarras dans le dépôt des reliques du Vatican : ainsi, certains saints ont vingt-trois doigts, trois crânes ou cinq jambes, afin de satisfaire le "grand public"... ! Prions pour nos frères les snobs puristes qu’André Rieu n’en aura pas autant ! 

    Singulièrement vôtre,

    anton@snoblissime.com