• Voleurs snobs

    Farouk, le dernier roi d’Egypte, était réputé pour ses achats extravagants et son insatiabilité. Lorsqu’il fut détrôné et forcé à vivre en exil, on trouva dans ses armoires et entrepôts une grande quantité d’objets volés parmi lesquels une montre en or qui avait appartenu à Winston Churchill, un sabre de cérémonie et des médailles dérobés au cadavre de l’ex-shah d’Iran dont le cercueil avait transité par Le Caire. Farouk était un kleptomane. Sa gloutonnerie l’entraîna également dans sa propre tombe : il mourut des suites d’un copieux repas. Y compris les bonnes âmes islamistes nous prêchent pourtant si fréquemment: « Ce n’est pas vous qui possédez les choses : ce sont elles qui vous possèdent ! » Comme si tout le monde connaît les limites de ses propres besoins ; comme si tout le monde, comme Milan Kundera dans L’insoutenable Légèreté de l’être, vit la simplicité tel « le principe unificateur » de son existence. Tel une « formule ascétique » ? Tel une « bénédiction » ? Est-ce suffisant pour guérir de la kleptomanie ?

    Le kleptomane serait selon Ambrose Bierce un « voleur riche », mais cela mérite une précision. La kleptomanie est une obsession, un dérèglement psychologique, qui, effectivement, comme beaucoup d’habitudes ou de manies, pourrait être terriblement snob. Le Duc de Bedford prétend toutefois qu’il y a plein de maladies qui sont plus avenantes. Les hémorroïdes par exemple. Il fut un temps où elles étaient considérées comme très snob, car leur présence supposait que l’on s’intéresse à l’équitation. La goutte était très chic à une certaine époque aussi, mais aujourd’hui elle ne l’est plus. Ensuite, c’est une question de vocabulaire aussi. Une « légère migraine » sonnera toujours plus snob qu’un « mal de crâne épouvantable». Bien que certaines maladies soient indéniablement plus coûteuses que d’autres, rappelons toutefois que montrer sa souffrance égale, selon les règles du dandysme, à montrer son infériorité et pourrait être une atteinte à son orgueil. À moins que, à l’instar d’Oscar Wilde, les soins et médicaments nécessités pour guérir votre maladie, soient largement au-dessus de vos moyens.

    En revanche, la kleptomanie, comme beaucoup d’autres traits psychologiques, est un désir irrésistible, un challenge ou une montée d’adrénaline dont le psychisme a fortement besoin. C’est donc une sorte de snobisme poussé à l’extrême. Juste pour le plaisir du risque. Pour étonner ses amies, pour faire son « gentleman thief », pour le « thrill », pour ne pas résister à une quelconque tentation. Parfois, on vole aussi par simple honte, comme un livre érotique ou un sur le snobisme par exemple. Face au juge et jurés, chaque psychiatre confirmera que la frustration est nuisible à l’ego de chacun entre nous. Par ailleurs, Nietzsche sera votre témoin à décharge: « Voler rend souvent plus heureux que prendre.»

    En temps d’émeute, il est fréquent que l’on pille non seulement des supermarchés, mais aussi des musées. N’hésitez pas à demander de l’aide au conservateur ou faites-vous accompagner par votre antiquaire attitré. Il existe aussi une sorte pillage qui consiste à se faire prendre en plein délit, afin de passer une nuit, ou plusieurs, dans un commissariat de police. Maurice Sachs, en 1937, ruiné et épuisé, se fait interner pour échapper à ses créanciers. C’est seulement en 1939 qu’est publié Le Bœuf sur le toit, qu’il avait mélancoliquement terminé en 1929 :  “Il y a eu hier un krach épouvantable, monstre, à Wall Street.”* Les années « folles » sont finies et appartiennent maintenant aux nombreux mythes des renaissances et des paradis perdus.

    Si vous souhaitez vous faire interner, évitez alors les régions trop urbanisées où les commissariats ne ressembleront jamais à un « Relais & Châteaux». Il est certain que vous seriez nettement mieux logé et nourri (et mis en valeur aussi !) dans un patelin à la campagne. Sachez toutefois, que beaucoup de villages, dont les plus idylliques, n’ont plus de représentants officiels sur place. Restez prudents : certaines régions et leurs habitants sont encore très rudes et incultivés. Hélas ! Au demeurant, jadis, à la Bastille, les aristocrates n’étaient pas privés de luxe : ils décoraient leurs cellules comme « à la maison », ils pouvaient se faire suivre par leurs laquais, ils envoyaient les gardiens en ville pour faire leurs emplettes et passaient leur temps avec des lectures et jeux. 

    Généralement, la presse trouve qu’il y a une vaste distance entre un vol commit dans un appartement « HLM » d’une banlieue industrielle et celui d’un appartement hautement bourgeois dans un beau quartier. Il y a là une véritable discrimination et un snobisme très primaire.

    Si le cambriolage n’est pas votre tasse de thé, tentez les chèques sans provision. C’est moins excitant, mais donne autant de satisfaction. 

     

    *  Wall Street : Rue de New York, dans le sud de Manhattan avec quelques monuments historiques. Or pour le shopping (Tiffany & Co, Dior, Saks), nous conseillons la Cinquième avenue (Fifth Avenue).