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Stimulant snob
Un des plus célèbres bals costumés a eu lieu au Waldorf à New York dans la nuit du 10 Février 1897. L’intention de Mme Cornelia Bradley-Martin, l’organisatrice de cet événement mondain, était non seulement d'en faire «the greatest party in the history of the city » mais aussi de stimuler l’économie américaine, encore souffrante de la Grande Dépression et du krach financier de 1893. Ainsi, les invitations étaient seulement envoyées mi-janvier pour éviter que les invités commandaient leurs robes et costumes à Paris afin de soutenir les entreprises locales.
En effet, les huit cents invités dépensaient environ $ 400.000 en costumes, imitant - selon le dress-code imposé par Mme Bradley-Martin - rois, reines, ducs, duchesses, princes, princesses et autres personnages, de préférence nobles, du XVI, XVII ou du XVIII siècle. Pour l’occasion, l'intérieur de l’hôtel était transformé en une réplique de Versailles, avec tapisseries rares, tableaux d’époque, compositions florales (5.000 roses et 3.000 orchidées), lustres, miroirs, et c.. Une quinzaine de vestiaires étaient mis à la disponibilité des invités, car certains préféraient se changer sur place avec l’aide d’une équipe de perruquiers et de maquilleurs professionnels. Les bijoutiers étaient également très sollicités : ceux qui possédaient des joyaux antiques firent de très bonnes affaires.
En quittant les vestiaires les invités se rendaient à la petite salle de bal où Mme Bradley-Martin (habillée en Marie Stuart : sa robe brodée d'or était garnie de perles et de pierres précieuses d’une valeur estimée de plus de $ 60.000) et son époux (déguisé en Louis XV) attendaient leurs invités. Un aboyeur annonçait les noms des invités au même temps que les personnages empruntés. Après quelques pas de danse (Beethoven, Chopin, Mozart) le souper était servi. Au menu (en français) e.a. : un bouillon de Clovis, un rôti à la Victoria, terrapene (un genre de tortue) désossée à la Baltimore, terrine de foie gras et un sorbet intitulé thématiquement : ‘Fin de Siècle’.
Parmi les invités, il y avait des hommes d’affaires connus comme John Jacob Astor IV (le propriétaire des lieux, déguisé en Henri IV de France) et son épouse (en Marie-Antoinette), Mme Charles Post (l’épouse d’un des premiers fabricants de corn-flakes, déguisée en Mme. de Maintenon), l’architecte célèbre Stanford White (vêtu d’un costume de Cour de velours noir et satin blanc) ou encore mademoiselle Pierpont Morgan (issue d’une illustre famille de banquiers habillée en reine Louise de Prusse). Il y avait là aussi un Duc de Guise, l’impératrice Marie-Thérèse, une princesse égyptienne, des seigneurs japonais, des nobles fauconniers italiens, des douzaines de comtesses et marquis de toute époque confondue, et c..
Dès le lendemain, et malgré les centaines de milliers de dollars dépensés dans les bazars, boutiques, comptoirs et autres commerces de l’état de New York, le bal fut sévèrement critiqué par plusieurs ministres. Puis, quelques semaines après, les Bradley-Martin, leurs amis et invités, reçurent tous un courrier des autorités américaines annonçant une forte augmentation de leurs impôts. Par conséquent, la famille Bradley-Martin s'établit en Grande-Bretagne…
Photo: Madame Bradley-Martin en Marie Stuart.