• Solidarité snob

     

    Aujourd’hui, suite à mes périples flamands, je me permets de vous inciter à visiter, en toute urgence, la Belgique. En effet, dépêchez-vous, surtout vous les snobs conservateurs, car le royaume est en perdition et si les parties politiques n’arrivent pas à se mettre d’accord, je crains le pire pour vos amis Albert et le Duc de Brabant. Trouveront-ils refuge chez quelque famille de la reine en Toscane ou en Calabre? S’exileront-ils dans la province profonde du Saxe-Cobourg ? Est-ce qu’on leur permettra de garder leurs titres ? L’heure est grave ! Surtout pour nos collègues de Point de Vue ! Alors, mieux vaut en profiter tant que les royalties belges reçoivent encore impassiblement au Palais Royal de Bruxelles.

    Si tel est le cas, alors voici quelques suggestions pour une journée à Anvers. Personnellement testées pour vous ! La Maison Rubens est inévitable, un véritable palazzo italien, cependant, la boutique du musée est désolante. Rendez-vous donc ensuite immédiatement chez Feek Studio (mobilier moderne) où l’épouse du créateur vous accueillera de manière vraiment charmante. Dans les boutiques situées au Kloosterstraat vous trouverez une mine de meubles des années 60-80 du siècle dernier. Déjeunez ensuite, que vous soyez « design », « vintage », « rococo » ou « nouilles »,  au Zuiderterras (Terrasse du Sud), où l’ambiance, les prix, la nourriture et le service sont du même style et gabarit que proposés par les frères Costes. Visitez ensuite une église au hasard (elles ont quasiment toutes quelques Rubens en stock) ou un béguinage ; buvez un chocolat congolais bien chaud dans un salon du Palais Op de Meir (ravissant petit hôtel de ville où séjournèrent plusieurs personnalités couronnées) ou, si vous préférez humer une ambiance plutôt breughelienne que coloniale: faites une halte au Palais de la Frite (Frietpaleis en flamand ; sur la Place de la Reine Astrid).

    Après tous ces palais, votre shopping intense, toute cette culture, ces découvertes gastronomiques et cette décadence flamande (et les autoroutes belges étant ce qu’elles sont), vous n’aurez sans doute plus la force de rentrer au château de Laeken afin d’y assister à un dîner avec trois douzaines de représentants de la noblesse wallonne, tous ornés de rubans et rosettes. C’est un fait : les Belges se montrent très friands du snobisme des honneurs. Des milliers de Belges sont décorés chaque année. En conséquence, la Belgique fabrique des médailles et rubans en abondance. Il y existe trois types de décorations attribuées par Arrêté de la Maison Royale belge, qui sont distribuées successivement, par promotions fréquentes et répétées.
La première est pour les services rendus par les employés et les serviteurs attachés directement aux maisons royales pour une durée de 15, 25 ou 35 années. La seconde pour reconnaître par un témoignage public, les services rendus par des personnes attachées à des Cours ou des Chefs d’Etat étrangers, lors de visites officielles.
Finalement la troisième, comme décoration spéciale pour les services particulièrement méritoires d’employés et de serviteurs. Il me semble inutile d’ajouter que ce sont ces ordres royaux, les plus convoités, surtout par les grands industriels mais aussi par les politiciens, qu'ils soient wallons ou flamands, de droite ou de gauche.

    Songez un instant à vos voisins belges, privés de félicités et d’insignes royales et célestes, de ces jolies médailles et rubans qui récompensent leur vertu, et qui, à l’instar de chaque snobisme, entretiennent leur bonne humeur. Ce sera tout simplement une catastrophe. Encore un snobisme en danger! Certes, il existe en Belgique un snobisme raffiné qui consiste à paraître n’en pas en avoir, à montrer grand dédain pour le snobisme vulgaire, au risque de passer pour un incivique. Mais ce snobisme-là, il disparaîtra, forcément, aussi.

    Montrez votre solidarité avec le peuple belge et rentrez donc sagement au château de Laeken. Et ne passez pas par le casino de Knocke-Le-Zoute ! Après le Palais de la Frite, mieux vaut ne pas entreprendre des activités trop tendues.