• Philosophie snob

     

    "L’opinion admise que le panthéisme nous incite à l’indifférence est injuste. Au contraire, la prise de conscience de sa propre divinité incitera l’homme à la transmettre et à la répandre et c’est seulement à ce moment-là, que les actes nobles de l’héroïsme véritable exalteront notre monde.

    Or la révolution politique, basée sur les principes du matérialisme français, ne trouvera pas forcément des adversaires chez les panthéistes, mais plutôt des sympathisants : des sympathisants qui ont puisé leur conviction dans une source plus profonde, voire une synthèse religieuse. Nous ne stimulons guère le bien-être de la matière, le bonheur matériel des peuples, en se moquant de l’esprit comme le font les matérialistes, mais parce nous savons que la divinité de l’homme s’exprime aussi dans son apparence physique : que la misère détruit et dégrade le corps, l’image de Dieu, et que de ce fait, l’esprit sera également anéanti. La plus importante des paroles révolutionnaires, prononcée par saint Justin : "Le pain est le droit du peuple", se transforme chez nous en : "Le pain est le droit divin du peuple". Nous ne nous battons pas pour les droits humains du peuple, mais pour les droits divins de l’homme. Ici, et dans beaucoup d’autres choses encore, nous nous différencions des hommes de la Révolution. Nous ne voulons pas être des sans-culottes, des bourgeois sobres, des présidents bon marché : nous constituons une démocratie des dieux qui seront tous aussi gracieux, célestes et bienheureux. Vous voulez des vêtements sommaires, des mœurs rangées, des jouissances sans épices ; cependant, nous, nous voulons du nectar et de l’ambroisie, des manteaux de couleur pourpre, des odeurs précieuses, de la volupté et de la magnificence, des nymphes dansantes et riantes, de la musique et des comédies. –

    Ne soyez donc pas en colère, républicains vertueux ! Nous répondons à vos reproches et censures comme ce bouffon de Shakespeare : Trouves-tu que tous les gâteaux et vins délicieux doivent être bannis de cette terre, parce que tu es toi-même si irréprochable ?"  

    Par Heinrich Heine. Extrait de Der Salon. Deuxième Partie (Zur Geschichte der Religion und Philosophie in Deutschland) 1835 

    Traduction par moi-même.