• Flamands snobs

    Le roi Philippe le Bel alla en Flandres en 1301, suivi de son épouse Jeanne I de Navarre, comtesse de Champagne, et de toute sa cour. Ils y furent reçus avec une grande joie paraît-il, et surtout avec une grande magnificence. En faisant son entrée à Bruges, la reine fut tellement surprise du luxe des habitants de cette ville, qu’elle s’écria avec une pointe de jalousie: « J’avais cru paraître ici comme la seule reine qu’il y eût, mais j’y trouve plus de six cent femmes qui peuvent me disputer cette qualité par leur parure et par la richesse de leurs habits. »

    On peut très bien imaginer le choque de cette pauvre Jeanne! Après avoir mis au monde trois rois de France et de Navarre (Louis X, Philippe V, Charles IV) et  une reine d’Angleterre (Isabelle de France), il y avait de quoi d’être agacé par ces citadines flamandes qui profitaient de l’industrie textile, faisant alors la prospérité de leur province. Or, l’année suivante, en 1302, l’exaltation flamande pour ses souverains français avait totalement disparu. Et pour cause ! La bataille de Courtrai, également connue comme la bataille des éperons d'or, opposa Philippe le Bel et le comte de Flandres : les artisans tisserands flamands (qui utilisaient surtout de la laine importée de Grande-Bretagne) estimaient que les impôts levés par le roi français afin de contrarier ses ennemis anglais, étaient trop élevés.

    Il faut dire qu’en France, à ce moment-là, le snobisme à l’attitude « m’as-tu-vu » était interdit aux bourgeois. Car c’est en 1294 que Philippe le Bel avait promulgué une loi somptuaire qui réglait la table, les habits, la dépense, et fixait les bornes dans lesquelles chacun devait se tenir selon son état. Par exemple, il fallait être duc, comte ou baron pour se donner, à soi-même et à sa femme, quatre robes par an : « Nulle demoiselle, si elle n’est châtelaine ou dame de mille livres de terre, n’en aura qu’une. » Le prix qu’on autorisait de mettre aux étoffes était « dix sous l’aune de Paris », jusqu’à vingt-cinq ; seules les dames de qualité avaient le droit d’y mettre jusqu’à trente sous, et de prendre de la toile à « un sou huit deniers l’aune ». Quant aux "vilaines" (on nommait ainsi les femmes d'une naissance obscure, et "vilains" les hommes), il était ordonné qu’elles étaient privées de chars, qu’elles ne se feraient pas conduire le soir avec une torche de cire, qu’elles ne porteraient ni vert, ni gris, ni hermine, ni or, ni pierres précieuses, ni couronnes d’or ou d’argent. Avouez, que c’était une raison très valable pour faire ses valises et d’émigrer en Flandres sur-le-champ !

    D’ailleurs, cette même loi ne permettait que quatre plats pour les jours de jeûne, et trois pour les  autres jours, et défendait de mettre plus d’une sorte de viande ou de poisson dans un même plat ! Ainsi, au royaume de France et de Navarre, le délicieux waterzoi de poissons à la gantoise (avec des moules, crevettes grises, filets de sole, de lotte, de barbue et de Saint-Pierre) était strictement prohibé….