• Poissons snobs (3)

    Le brochet est sans doute le plus snob des seigneurs d’eau douce : c’est un grand paresseux, qui aime se chauffer au soleil et ne chasse que par intermittence et cela toujours à proximité. C’est un poisson de grande classe ! Encore plus snobs sont les corégones, poissons rares vivants en des eaux pures telles celles des lacs Léman, du Bourget ou de Finlande. On les sert souvent dans les restaurants huppés des rivages cités, car ils n’aiment pas trop voyager. Autre rareté fort convoitée est la lamproie, ce qui explique son prix élevé. L’omble chevalier, snob par son nom, est également assez insolite. Attention : parfois il est d’élevage comme l’omble du Canada. La chair du sandre est fine et agréable. Elle se prépare comme le brochet et est également très appréciée par les snobs gourmands.

    Le saumon, c’est comme le cabillaud : jadis un repas courant des pauvres des villes et villages riverains de la Loire, il devint rare et mets d’apparat. Actuellement le saumon (d’élevage) est de nouveau démocratisé. Le saumon fumé, autrefois pareillement un luxe très confidentiel, est également devenu très populaire. Notez qu’on reconnaît sa qualité à la couleur rose tendre au jaune, claire aux tons plutôt pastels. C’est en vieillissant que les tonalités virent à l’orange ou au brun, elles deviennent plus vives, comme laquées. Les autres salmonidés, comme la truite et l’ombre, peuvent autant être d’élevage. Ainsi, leur qualité gustative dépend de leur alimentation. Certaines sont médiocres, d’autres sont très bons. Sauvages, ils seront toujours excellents, alors, pourquoi prendre des risques ?

    Parmi les petits poissons de rivière rarissimes et recherchés, donc ultra snobs, nous conseillons, entre autres, l’apron, la blennie, le chabot et la lote. Surtout cette dernière est très, très inaccoutumée et très renommée. Mais inutile de passer commande à votre poissonnier, aussi snob qu’il soit. Vous aurez indubitablement plus de chance en lui commandant des poissons plus « roturiers » comme la carpe par exemple. Néanmoins, les spécialistes la considèrent comme « la reine des eaux douces ». Les Japonais sont d’ailleurs capables de l’acheter à un prix outrancier : il leur arrive aussi de décapiter cette reine d’un coup de sabre pour en débiter la chair crue. Quant à la carpe dite « royale », elle est élevée dans les étangs du Saulnois, de la Dombes (où l’on trouve également la célèbre grenouille, mets devenu un peu has been) et du Forez (pour votre gouverne : la plupart des étangs sont artificiels : les plus anciens datent du 13ème siècle et sont l’initiative des Comtes de Forez ; quant à la Carpe Royale du cru, elle y  fut introduite par le comte Guy de Neufbourg). Sa cousine, la tanche, est également très économique.

    L’anguille, prise en mer non polluée, peut être délicieuse. Prise dans de la vase, elle peut être répugnante. Elle est, à l’instar du thon, un éboueur. L’alose est de la famille du hareng, donc également considérée comme un poisson de basse condition, et de surcroît malheureusement, comme le chevesne, avec beaucoup d’arêtes. L’alose à l'avignonnaise est une préparation à base d'alcool et d'oseille qui fait « fondre » ces arêtes. Assez estimés par les passionnés du barbecue sont le barbeau, la brème et ces autres poissons d’eau douce, pleins d’arêtes et pas chers. Les Anglais les snobent totalement (ils les appellent « minnow ») et s’en servent surtout comme appât pour pêcher des espèces plus intéressantes ou comme nourriture pour chat. La perche plait pareillement aux amateurs de barbecue : elle est très pénible à écailler, mais grâce à sa chair fine, elle est sans doute un des meilleurs poissons de rivière. Soyez toutefois très vigilants puisqu’en France, elle est souvent importée. Le poisson-chat est autant un émigré. A l'origine, il se serait échappé des aquariums du Musée d'histoire naturelle à Paris pour coloniser la Seine, via les égouts. Susceptible de provoquer des déséquilibres biologiques, les pêcheurs le considèrent comme fort nuisible. Cependant, en Grèce, en Albanie et en Asie, il se mange grillé, cuit au four, à la vapeur et frit.  Son cousin, le silure est originaire des pays de l’Est riverains du Danube. Discret et fuyant la lumière, ce prince des ténèbres préfère vivre dans les bas-fonds et son activité est essentiellement nocturne. Ainsi, comme Dracula, il alimente les légendes : on dit même qu'on en a pêché un dans le Danube de plus de 5 mètres et de plus de 500 kg ! D’élevage, ce poisson est commercialisé sous le nom de merval.

    Et enfin, le vairon, le goujon, l’ablette et le petit gardon qui sont, à condition de mesurer moins de cinq centimètres, les rois de la friture ! Comme quoi, le snobisme n’est pas forcément une question de taille !