• Moutons snobs

    Un lecteur attentif m’a fait la remarque que le remède snob contre la grippe ne donne aucune information sur le genre de couvertures qu’il faut employer. Voyons ! Des couvertures snobs bien sûr ! Heureusement que je suis-là ! Il faut cependant noter que la couverture a énormément perdu de son snob-appeal ces dernières années. A cause de la couette, sans doute. Quant au plaid, jadis symbole des pique-niques élégants dans une campagne ordonnée (avec vue sur un château) et de l’équitation (souvenez-vous : tout ce qui touche au cheval est snob d’office, y compris nettoyer ses propres écuries), accessoire prisé des architectes d’intérieur (plié ou négligemment drapé sur un canapé « design »), il se trouve de nos jours dans mainte « grande surface ». Forcément, la laine a été remplacée par des matériaux synthétiques et donc beaucoup moins nobles. Sans omettre le choix monstrueux en coloris que les usines chinoises proposent.

    Mon choix personnel commence par un plaid dérobé au Grand-Hôtel de Stockholm d’un beige caramel, très discret, sans marque apparente, qui va absolument avec tout (si vous avez les abat-jour qui vont avec, ce sera évidemment encore mieux). Il est parfait pour les premières balades en traîneau ou un week-end d’oisiveté dans votre petit salon marocain. Un plaid en zibeline ? Ca pourrait faire un chouïa nouveau riche, mais si vous êtes frêle et frileux, ne vous en privez pas. Mais uniquement dans votre troïka. Contre les fraîcheurs de la fin d’été, je conseille un plaid Hermès : d’un très joli brun, imprimé de quelques « H » et petites ancres. Genre : « C’est tout ce qu’il me reste de mon yacht ! » Personnellement, j’adore cette ambiance « créancier », également référencée comme le style « dépouillé », mais si vous êtes un nouveau riche, je peux très bien comprendre que cette ligne ne vous comble pas.

    Ma couverture préférée est toutefois d’un très joli vert à l’intérieur. L’extérieur (carreaux) est en vert et brun. Elle est divinement vintage et a été fabriquée dans les années 60 du siècle dernier, à partir de la laine d’une race ovine, très ancienne, originaire des îles Frisonnes, qui pâturaient alors sur nos terres. Elle est sans doute la plus épaisse et je la réserve donc principalement pour les grands froids du mois de janvier. S’écrouler élégamment sous ou sur un plaid fabriqué avec la laine de ses propres moutons, de nos jours, ce snobisme-là, il est quasiment introuvable. Il existait autrefois, dans les années 1970, un duc anglais, qui posa dans un ensemble Harris Tweed (en laine de ses propres moutons et photgraphié en plein milieu d’une trentaine de ses « sujets » tondus), pour une publicité dans un magazine de mode. Il y avait aussi, dans les pages publicitaires de ce magazine, une véritable lady, qui ne jurait, naïvement, que par une seule marque de savon. Aujourd’hui, ça nous laisse rêveurs….

    De mi-octobre à mi-février, je m’en sers également comme couvre-lit ou couverture supplémentaire. En été, c’est plutôt le plaid du Grand-Hôtel suédois, beaucoup plus léger et qui prend, une fois plié, très peu de place. La preuve : j’ai bien réussi à le sortir, avec les abat-jour, une table de chevet et quelque vaisselle pêle-mêle, sans trop me faire remarquer. Sans omettre ma boîte à outils ! Au demeurant, les petites ancres d’Hermès seront pendant les mois estivales pleinement de saison. Vous pouvez alors l’utiliser comme jetée de lit mais aussi pour vous y étendre après un pique-nique sur une plage privée.

    Si vous n’aimez pas suivre les conseils des magazines de décoration, et vous tenez absolument à ranger vos plaids, alors il vous faut une malle ou un coffre à plaids. Votre plaid est un ustensile très personnel, avec qui vous partagez des moments de farniente intense, vos siestes et paresses les plus voluptueuses. La malle Louis Vuitton est un grand classique. Il vous faut une malle en bois aussi, dans un style gustavien, dénichée chez un antiquaire local (non, il n’y en a pas au Grand-Hôtel de Stockholm) pour créer un contraste, un effet décalé. Vous pouvez également solliciter un ébéniste ou un maroquinier encore merveilleusement ignoré par les trendspotters ! Dans le cas présent, il suffit de consulter les Pages Jaunes ! Et de brûler une grande quantité de cierges, même toutes les bonnes sœurs que vous croiserez sur votre chemin, car l’annuaire en question n’a rien d’un bottin mondain. Contrairement à la page publicitaire de mon blog, on y trouve de tout et du n’importe qui. Préparez-vous à un service beaucoup moins soigneux que celui des maisons Hermès ou Louis Vuitton ou celui de vos fournisseurs habituels en antiquités et autres bagatelles convoitées, auquel vous êtes habitué. Il se peut que l’établissement ne soit en rien comparable au Grand-Hôtel de Stockholm, que l’établissement ou l’artisan soient entièrement dépourvus de snob-appeal et que – bien probablement-  ils n’en auront jamais.

    Je vous conseillerai bien d’acquérir quatre à cinq ovins (et une petite main pour la tonte), mais je ne connais pas votre environnement, et dans un appartement haussmannien, même un ou deux moutons, cela risque de perturber votre copropriété. En sortant votre bétail sur le Champ de Mars, ne perdez pas une once de votre majesté, maintenez votre stature avec un naturel surprenant. Bien évidemment, vous évitez un style « hippie » trop prononcé, même le « baba riche » ; ce n’est pas parce qu’on sort son troupeau qu’on ne doit pas être bien mis. Vous n’êtes pas là pour vendre des fromages de chèvre ! Certes, vous avez réinventé un snobisme, au fond, prodigieusement audacieux : votre négligence vestimentaire sera toutefois plutôt contrôlée. On n’est quand même pas dans les montagnes sardes ou les plaines de la Sibérie! Faites-vous, surtout au printemps quand les agneaux sautillent partout, assister de quelques scouts de la paroisse. En faire de l’astrakan ? Je vois : vous ne perdez pas le Nord ! Le curé sera évidemment une alternative plus snob ! Jouez, si le cœur vous dit, à la Marie-Antoinette, et déguisez-le, éventuellement, en personnage encore plus authentique, avec quelques haillons trouvés à l’Armée de Salut. Je croise mes doigts pour vous !

    Voilà la sélection snob de cette semaine ! Je devais être à la tête du marketing chez Snob.Shopping.com, vous ne trouvez pas ?