• Devises snobs

    Même si vous n’avez pas un blason, ce qui arrive fâcheusement même aux meilleurs snobs parmi nous, il vous faut une devise. C’est la moindre des choses et de surcroît un snobisme gratuit : toutes les bonnes familles en avaient une, parfois même plusieurs. Dans l’aristocratie, la devise et les armoiries étaient entièrement associées à l’orgueil et à l’honneur familial. Elles servaient surtout à souligner et à signaler à l’adversaire ou à faire savoir au bas peuple qu’on avait de l’esprit et du courage. Dans le style « Mars lui-même ne m’arrêtera pas ! » du Grec antique Étéocle, bien qu’il faut rappeler que la culture et les devises grecques soient momentanément dépossédées de leurs allures.

    La détermination et l’orgueil étaient essentiels aux chevaliers du Moyen Âge, coincés dans leurs armures toutes semblables, ce qui explique pourquoi ces nobles cavaliers prirent soin de travailler leur image, leurs slogans, leurs couleurs, afin d’être reconnus au premier coup d’œil. C’était du branding avant l’heure.

    La devise est un must absolu si vous voulez vous donner quelques prestiges héraldiques. Commençons par un petit peu de snobisme du vocabulaire. L’adjectif « héraldique » vient du mot de héraut, qui désignait l’homme chargé de proclamer des messages au nom de son seigneur. Le mot blason, on dit qu’il vient soit de l’allemand blasen, « sonner du cor », soit de l’anglais blaser, « crieur public » (du verbe to blase, « publier »). Les deux origines sont absolument compatibles : le héraut, comme le crieur public, sonnait du cor pour réclamer le silence avant la lecture de son communiqué. Quant au verbe français blaser, le dictionnaire du cru mentionne « user par l’alcool » à la fin du XVIe,  et le  fait venir du néerlandais blasen ou « gonfler » : « atténuer les sensations, les émotions par abus. » Or la traduction française proposée et la définition sont restreintes et vagues. Quel est exactement le rôle de l’alcool ? Et si son rôle est démontré :  combien de Moët & Chandon faut-il pour atteindre ce blasement qui nous semble si pur et candide ? Et surtout : peut-on l'aborder sans grossir  et sans nous miner? Voilà des questions auxquelles ces dictionnaires ne répondent pas. D’ailleurs, aujourd’hui le verbe néerlandais « blazen » (maintenant avec un « z ») signifie plutôt « souffler ». Comme un souffleur de verre par exemple ou un sonneur de cor. Les nobles d’autrefois avaient d'ailleurs des centaines de  jingles différents, un pour chaque action (on sonnait le cerf, le sanglier, l'arrivée d’une célébrité royale, la descente de cheval, la fin d’un jeu, le dîner, etc.). C’était ultra snob ! Ainsi, à mon humble avis : le blasement et le blason ont probablement les mêmes origines étymologiques. Quant au dosage d’alcool nécessaire pour  accéder au blasement, évidemment, je suppose qu’il change selon chaque individu et qu’il dépend aussi de la personnalité de chacun, et de son goût. 

    « Je m’en fous! »  était la devise très snob et blasée de Courteline, qu’il modifia par la suite en une formule métaphysique : « Et puis après ! » En général, une devise doit être assez courte; en Latin, c'est certes fort snob, mais n'oubliez pas que vous êtes probablement, comme nous le sommes tous, entouré d'incultes, donc faites de sorte qu'une traduction circule sur le net.