• Boycott snob

     

    Edito n° 3. Pour l’instant, je tiens le rythme. Mais je ne vous promets rien, avec ces atmosphères estivales, on a tendance à oublier. J’ai failli faire un saut dans la partie allemande du Limbourg (un des meilleurs pains d’épices du monde s’achète à Aix-la-Chapelle, les Aachener Printen), mais j’ai décidé de maîtriser ma gourmandise. J’ai même annulé mon séjour à Stuttgart, ville où le nombre de « Schickimickis » au km2 est certainement un des plus élevés de l’Allemagne. C’est ainsi que la langue allemande dénomme les gens chics et élégants qui passent leurs temps à courir (littéralement bien sûr, parce qu’ils ont tous des Porsche et des BMW) d’une soirée mondaine à une autre. Sachez qu’en Autriche, ces snobs sont baptisés des « Adabei », une déformation dialectique de « Auch Dabei », ce qui veut dire « aussi de la partie ». De la High Society natürlich!

    Mais je snobe l’Allemagne cette année. Vous le saviez sans doute déjà, mais il y a dix ans, au Salon du Livre de Francfort, mon éditeur allemand avait prévu du vin mousseux pour le lancement de mon guide intitulé Die Welt der Snobs (la version teutonne du Petit Bréviaire du Snobisme). Certes, c’est un peu de ma faute : j’aurais dû l’informer que les vins mousseux m’occasionnent des crampes incommodes dans mes doigts et mollets.  Mais, puisque j’avais consacré un chapitre entier au champagne, le message me semblait pourtant clair !  Incontestablement, il y avait de quoi faire un joli scandale, mais j’ai commandé très calmement une eau gazeuse. Nonobstant, dès le lendemain, ce fait-divers était dans toute la presse. Même Vogue (accompagné d’éloges pour mon œuvre et mon sang-froid) en informa ses lectrices. Un journaliste d’un quotidien ex-allemand de l’Est intitula son article « un petit problème de boisson ». J’ai failli mourir de soif, et ces ex-communistes appellent cela un « petit » problème ! Considérant les malaises que leur boisson mousseuse me procure, j’aurais dû les accuser d’empoissonnement. J’ai une excellente avocate à Munich, une baronne, très chic et élégante, avec une généalogie qui remonte à la nuit des temps, avec beaucoup de classe. Une snob avouée (elle adore lire mes écrits avant tout le monde et son fils –inscrit dans une école munichoise plus snob tu meurs – m’aide beaucoup dans mes études sur le snobisme des enfants), mais elle n’est pas une Schickimicki. C’est quelqu’un de sérieux. Il faut toujours avoir un avocat en Allemagne. Par ailleurs, quel était le livre le plus volé sur le stand de mon éditeur ?  Exactement ! Mon manuel pour les snobs allemands! Quelle belle mentalité ! Comme s’ils avaient honte de leur snobisme!

    Heureusement qu’il y a des Allemands à qui je ne fais pas peur. Dans quelques jours apparaît un nouveau cahier de Kosmopolis Interkulturelle Zeitschrift aus Berlin (un genre Autrement en format livre) sur le thème de l'incognito. Ma participation s’appelle « Eloge snob de l’anonymat ». Pour satisfaire mon petit besoin personnel de name-dropping (que je pratique rarement puisque, comme déjà avoué, je n’ai malheureusement pas la mémoire des noms), je suis toutefois très flatté de vous annoncer qu’Hertha Müller fait également partie des participants à ce numéro. Aux ignorants, je précise que c’est la Prix Nobel de littérature de 2009. Apparemment, vous n’êtes pas un(e) snob littéraire…

    Cette petite introduction me semblait nécessaire, car elle vous prouve que je ne suis pas rancunier. Or, il y a quelques mois, j’ai proposé à une maison d’édition basée à Cologne un manuscrit intitulé « Stilbrevier für Schlampen », un guide de conduite pour pétasses. Il y a bien un guide pour ces snobs qui désirent s’aventurier dans les pôles et la Sibérie, alors pourquoi les pétasses n’auront-elles pas le droit à avoir leur petit bréviaire? L’éditrice en semblait enchantée, alors je me suis mis au travail. Le verdict ? Hélas ! La publication de l’oeuvre nous paraît indécente par les temps qui courent ! Comme si les pétasses se soucient de la crise ! Faut-il encore qu’elles en soient informées ! Bref. Après le mal que je m’étais donné à mettre sur papier les meilleurs et plus précieux conseils dans un allemand charmant, vous pouvez imaginer ma déception! D’où mon ostracisme. Il est vrai que Greenpeace et moi avons des relations difficiles à cause de la publication d’un livre de cuisine (snob) aux Pays-Bas, dans lequel je divulguais des recettes du style pavé d’ours et carpaccio de baleine. Mais moi aussi je sais être politiquement actif : j’ai boycotté Dries van Noten pendant deux ans lorsque j’ai découvert qu’il fabriquait mes pantalons dans un lieu obscur en Bulgarie et non dans un béguinage pittoresque de la banlieue d’Anvers! 

    Singulièrement vôtre,

    anton@snoblissime.com