• Eau snob


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    Cher Monsieur,

    Mon épouse, qui est une de vos fans, aimerait absolument avoir une piscine. Je sais qu’elle vous écoute, alors aidez-moi, car la crise financière m’a fortement touché…

    Bien amicalement,

    Jean-Pierre R., Rouen.

     

     

    Cher Jean-Pierre,

    Je suis certes un snob en beaucoup de matières, mais pas un snob à piscines. Plutôt un snob à salles de bains des grand-hôtels. Cependant, je suis conscient qu’une piscine dans un jardin d’un pavillon de banlieue : cela fait burlesque. Visitée quotidiennement par les enfants des voisins – prolétaires et bourgeois désuets - de toute la rue, puis par leurs parents qui se retrouvent en soirée pour un barbecue arrosé en racontant leurs vies misérables dans un espace vert de la taille d’une cage à lapins: elle devient formellement un cauchemar. Et on n’a pas besoin d’être un snob avéré pour ressentir cette oppression-là.

     

    Si c’est juste pour impressionner, pour prendre un cocktail tropical en papotant avec quelque happy few autour de la piscine ingénieusement conçue (avec son carrelage exclusif) et éclairée par un (jeune) designer italien (qui a fait toutes les piscines des grands de la mode à Milan); en bref, si vous voulez vraiment faire de l’effet, il faut un budget en conséquence, car sinon vous allez passer pour un wannebe et un pingre. Oubliez donc immédiatement votre roue de secours : la piscine « préfabriquée ». Ou ce sera la fin de vos mondanités.

    Puis, une piscine sans poolboy, c’est comme un musée sans conservateur, comme une bibliothèque sans bibliothécaire, comme le pape sans sa garde suisse. Ca fait terriblement pauvre et amateur. Ensuite il faut un jardinier et son architecte de jardin, car un bassin sans une pelouse joliment arborée, ce n’est pas une piscine.  Songez à votre poolboy – si subtilement musclé – : il aura l’air ridicule en pêchant les feuilles mortes dans une espèce d’immonde baignoire enterrée.

    Elle doit être une bénédiction pour certains, cette crise. Comme la migraine, elle sert d’excuse à tout, jusqu’à obliger son épouse à fréquenter la piscine municipale ! Mon cher Jean-Pierre, franchement, je n’aimerais pas être à votre place. Votre avenir me semble aussi triste qu’une porte de prison.  Diantre ! Cessez d’être si raisonnable ! Après nous le déluge ! Vous aurez – au pire des cas – votre piscine privée pour vous noyer !  En snobisme, comme vous vous en doutez sans doute déjà, ça compte énormément. Or vous ferez un énorme plaisir à votre épouse, j’en suis sûr.


  • Interview dans quotidien suisse (italien et snob)